Le magazine de la DDC sur
le développement et la coopération
DEZA
Texte: Zélie SchallerEdition: 02/2023

Pour briser les cycles de la violence et protéger les femmes, la DDC a lancé voici plus de dix ans un large programme psychosocial dans la région des Grands Lacs. L’approche est holistique: un soutien médical, psychosocial, économique et juridique est apporté aux victimes sur le plan individuel, des groupes thérapeutiques sont constitués pour guérir la communauté au niveau collectif et des ateliers avec les hommes visent à transformer les normes de genre.

 Lors d’un atelier organisé à Kankuba, non loin de Kigali, des Rwandaises partagent leurs blessures pour s’en libérer. © Zélie Schaller
Lors d’un atelier organisé à Kankuba, non loin de Kigali, des Rwandaises partagent leurs blessures pour s’en libérer. © Zélie Schaller

Depuis le génocide qu’a connu son pays, le Rwanda, au printemps 1994, Dorcelle est «traumatisée». Plongée dans un profond mutisme près de trente ans durant, elle parvient enfin à mettre des mots sur ses maux. La quinquagénaire a trouvé la force de participer aux ateliers de santé mentale communautaire organisés non loin de chez elle, à Kankuba, à une dizaine de kilomètres de Kigali. Pour partager son histoire et se libérer des souvenirs douloureux.

Né d’un père Hutu et d’une mère Tutsi, Dorcelle a grandi au pied des collines verdoyantes et ondoyantes, parsemées de bananeraies. Des années de douce insouciance brisées, alors qu’elle n’avait que 23 ans: «On me pourchassait, parce que j’étais mariée à un Tutsi. Enceinte de huit mois, avec mon fils de quatre ans sur le dos, je me suis cachée dans les buissons. Mais des chiens m’ont débusquée. Des hommes que je connaissais m’ont déshabillée et violée à plusieurs reprises.»

Puis, on l’a frappée, battue et ligotée avant de la jeter nue à la rivière. «Je ne sais pas comment j’ai survécu. C’est mystérieux», souffle-t-elle. C’est son père, après avoir payé les bourreaux, qui l’a hissée de la rivière avec une corde. Une rivière qui charriait des cadavres et dont elle ne peut désormais plus s’approcher.

Des cicatrices indélébiles rongent ses cuisses et l’un de ses talons. Des céphalées persistent également en raison des coups reçus à la tête. Ces douleurs ne lui permettant pas de travailler, c’est son fils qui subvient à ses besoins. Quant à la petite fille qu’elle portait au moment du drame, elle n’aura survécu que trois ans. «Cette perte a été pour moi un immense chagrin», confie Dorcelle, les yeux embués de larmes.

Émue, Dorcelle se sent néanmoins «en paix»: «J’ai pu discuter avec les autres femmes, partager mes peurs en toute confiance et confidentialité. Quelque chose a changé en moi.» Un long chemin parcouru au travers d’ateliers avec une vingtaine d’autres victimes de violences physiques, psychiques ou sexuelles.

Traumatismes

Les conflits qui ravagent les Grands Lacs africains depuis des décennies infligent de grandes souffrances à la population. En 2010, en visite dans la région, la présidente de la Confédération de l’époque Micheline Calmy-Rey et d’autres politiciennes suisses se sont rendu compte de la situation dramatique des femmes. C’est ainsi qu’est né un an plus tard le programme psychosocial régional (Burundi, République démocratique du Congo, Rwanda) de la DDC. L’accent est mis sur l’approche psychosociale communautaire développée par le psychologue Simon Gasibirege (voir entretien).

Dans un atelier, Dorcelle et ses camarades réfléchissent ce matin-là au trauma. «Qu’est-ce que le trauma? Quels sont ses symptômes? Quels sont ses effets?», demande l’animateur. Les femmes se mettent aussitôt au travail. Elles constituent des petits groupes et se répartissent dans la salle ainsi que dans le joli jardin ensoleillé. Une femme prend la parole: «Le trauma, c’est un état de dégoût de soi et des autres. Il nous arrive même de perdre connaissance quand on se remémore ce qui nous est arrivé.» Et une autre de poursuivre: «Les gens considèrent le trauma comme un problème mental. Ils nous prennent pour des folles et nous fuient. Mais c’est un état dû aux circonstances.» Avec de graves conséquences: beaucoup disent souffrir de cauchemars et de peurs perpétuelles, au point de vivre recluses. «Mais le fait de se retrouver ensemble ici nous permet de regagner confiance en nous», témoigne une survivante.

Plus de sourires

La journée fut intense. Elle a commencé par des exercices de respiration et la prière, suivis de la lecture d’un texte pour introduire le thème du jour, d’une méditation et d’échanges en petits groupes. Avant de se quitter, les femmes se frottent les mains et tapent dans celles-ci pour dégager de l’énergie positive et l’envoyer au groupe. «Une lueur de joie s’est allumée. Bien que les émotions demeurent intenses, il y a plus de sourires au fil des jours. Les participantes cherchent les ressources en elles et dans la force du groupe pour poursuivre leur vie», se réjouit le formateur Claude Nsanzabandi.

À quelque 200 kilomètres de là, dans la périphérie de Bujumbura, au Burundi, des jeunes femmes ont également pris part aux ateliers de guérison communautaire des blessures. Toutes ont subi un viol, suivi d’une grossesse non désirée. Micheline, 22 ans, a mis au monde une petite fille voici deux ans. Tandis que l’enfant court après les poules dans la cour du centre géré par l’association Nturengaho, sa maman, à l’intérieur de la maison aux murs turquoise, raconte: «Depuis les ateliers, je peux m’exprimer. Je me suis ouverte et me sens libérée. Mes parents, qui me maltraitaient parce que ma grossesse était une honte pour eux, se sont aussi apaisés. Nturengaho les a invités: ils ont alors compris que ce qui m’est arrivé survenaient à d’autres et ils ont changé leur regard envers mon enfant.»

Autres bonnes nouvelles: «Avec d’autres filles, nous avons créé une petite association d’épargne et de crédit. Je travaille dans les champs. Souvent, je reviens ici pour écouter et accompagner les jeunes femmes qui ont les mêmes problèmes que moi.»

Le viol et les violences sexuelles se sont généralisés durant la guerre civile au Burundi. Aujourd’hui, malgré la fin des hostilités, ils restent encore très nombreux au sein des communautés. Les filles et jeunes femmes sont particulièrement exposées. L’association Nturengaho, soutenue par la DDC, leur apporte une aide médicale, psychosociale, économique et juridique. «De l’écoute et de la compréhension également, qui sont essentielles», relève Micheline.

Entraide dans le couple

Bachi explose de rage à son retour à la maison, le repas de sa femme n’étant pas encore prêt. Le Congolais participe à un jeu de rôles soulignant la violence dans les familles. © Zélie Schaller
Bachi explose de rage à son retour à la maison, le repas de sa femme n’étant pas encore prêt. Le Congolais participe à un jeu de rôles soulignant la violence dans les familles. © Zélie Schaller

«J’ai frappé à la porte, mais personne n’est venu m’ouvrir. Le repas n’est pas encore prêt? Et il n’y a pas de viande! Qui est le chef dans cette maison?», s’emporte Bachi. Le Congolais de 35 ans joue un père de famille. Il participe à un jeu de rôle proposé par l’organisation partenaire de la DDC, Transcultural Psychosocial Organization (TPO), qui travaille avec les hommes et les garçons pour transformer les normes de genre. La «femme» de Bachi, un autre homme qui a revêtu une couverture autour de la taille pour simuler une jupe, lance à son «mari»: «Il n’y a pas de viande, car tu ne nous a pas laissé d’argent.» La scène entend mettre en évidence la violence dans les familles et les communautés du territoire de Walungu, à une quarantaine de kilomètres de Bukavu, en République démocratique du Congo. Marié avec six enfants, Bachi était «connu pour être violent»: «Je battais ma femme et mes enfants. Je ne m’intéressais pas à eux. Traumatisé par les conflits dans ma communauté – des groupes armés ont tout pris, tout pillé par ici –, je buvais pour oublier, perdais le contrôle et ne respectais personne. Je n’arrivais plus à aller travailler dans les carrés miniers. Des agents communautaires de TPO m’ont approché pour participer aux ateliers. Leur discours m’a touché et j’ai accepté.» Et de grands changements se sont produits: «Je m’occupe de mes enfants, je lave les vêtements. J’ai tellement évolué que des personnes se demandent si ma femme m’a ensorcelé. Je suis devenu un modèle pour certains. D’autres me traitent de femme. Mais cela ne me gêne pas: je sais que je n’en suis pas une!», s’exclame le travailleur minier.

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