Le magazine de la DDC sur
le développement et la coopération
DEZA
Texte: Zélie SchallerEdition: 02/2023

Des commerçantes burundaises, congolaises et rwandaises travaillent ensemble pour développer leurs activités transfrontalières. Elles accroissent leur autonomie financière, mais aussi les échanges entre leurs pays, contribuant ainsi à la compréhension mutuelle et à la paix.

L’ambiance est à la fête ce samedi matin, au marché du quartier Essence, à Bukavu. Des dizaines de Congolaises, vêtues de leurs jolies robes colorées, applaudissent, chantent et dansent. «Merci pour le soutien. Nous voilà unies main dans la main!», s’exclament-elles. Les commerçantes exultent de joie: l’organisation International Alert, soutenue par la DDC, leur a remis une fourgonnette blanche pour le transport de leurs marchandises en provenance du Rwanda voisin.

Jusqu’ici, les trajets s’effectuaient au moyen de motos à trois roues. Mais, au vu des mauvaises routes, la camionnette fera mieux l’affaire. Munies des plaques d’immatriculation, des documents de bord et de la clé du véhicule, les femmes feignent tour à tour de le faire démarrer. Elles ne possèdent pas le permis. C’est un chauffeur qui les conduira récupérer les produits commandés à la frontière rwandaise, à quelques kilomètres de là, où l’agriculture se révèle plus développée.

Changement de perception

Dans les environs de Bukavu, la production demeure encore faible pour nourrir les 1,5 million d’habitantes et habitants de l’agglomération. La province du Sud-Kivu regorge de terres arables, mais des maladies attaquent les cultures et les routes de desserte agricole sont souvent en mauvais état. Surtout, l’insécurité qui sévit dans les villages pousse à l’exode rural et par là même à l’abandon des champs.

Pour contribuer à la paix dans la région des Grands Lacs africains, la DDC soutient le projet Cross Border Trade for Peace. Mises en relation par International Alert, les commerçantes burundaises, congolaises et rwandaises développent leurs activités transfrontalières. Via des intérêts économiques communs, elles améliorent leurs revenus, tout en renforçant les échanges et la compréhension mutuelle.

«Nous devons dialoguer avec les marchandes rwandaises pour passer commande. Cela transforme l’image que nous avons les unes des autres. Au début, je n’avais pas confiance en elles. J’avais peur d’envoyer de l’argent et de ne pas recevoir les produits en retour. Mais tout se passe bien», raconte la Congolaise Riziki. La mère de six enfants vend des tomates, des patates douces, des oranges et des mangues au marché.

«En se fréquentant et en échangeant, nous dissipons nos peurs et pouvons changer nos perceptions», renchérit la vendeuse de poisson Bonane. Et de poursuivre: «Nos conversations ne concernent plus seulement les prix. Nous prenons des nouvelles des unes et des autres, nous avons lié des amitiés.» Au point de partager les moments autant heureux que difficiles: «Les femmes sont invitées au mariage des unes et des autres. Et si une Congolaise est malade, vingt à trente Rwandaises viendront lui rendre visite ou inversement», illustre Pascaline Safari. La vice-présidente de la plateforme Bukavu, qui facilite l’activité des commerçantes congolaises, ajoute: «La situation s’est ainsi nettement décrispée, alors que nous avons grandi avec l’image que nous allions être tués si on allait au Rwanda.» Au niveau politique, des tensions persistent toutefois entre les deux pays.

«Malgré les relations difficiles entre nos pays, nous nous concentrons sur nos affaires», relate Clémentine. La Rwandaise, qui vit dans le village de Kabirizi (province de l’Ouest), livre des fruits et légumes en RDC. «Avec les Congolaises, nous nous sentons comme des sœurs, des camarades, parce que nous avons quelque chose en commun, le commerce, qui nous unit. Là-bas, je ne suis pas vue comme une Rwandaise, mais simplement comme l’une de leurs clientes.»

Cohésion et joie

Dans un entrepôt non loin du marché couvert de Bukavu, de grands sacs d’oignons violets viennent justement d’arriver du Rwanda. La course est aussitôt lancée: dans une ambiance bon enfant, les commerçantes congolaises se précipitent sur les condiments, à la recherche des plus beaux. Regroupées en coopérative, elles ont effectué une commande en gros, leur permettant d’obtenir de meilleurs prix.

Dans la bonne humeur, les commerçantes congolaises sont en quête des plus beaux oignons, arrivés tout juste du Rwanda. © Zélie Schaller
Dans la bonne humeur, les commerçantes congolaises sont en quête des plus beaux oignons, arrivés tout juste du Rwanda. © Zélie Schaller

Dans l’entrepôt, les commerçantes rwandaises viennent participer aux travaux communautaires, tels que le nettoyage. «Puisqu’elles déposent leur marchandise ici, elles ont tout intérêt à ce que le lieu soit bien organisé. Ces travaux créent de la cohésion mais aussi de la joie», se félicite Pascaline Safari. Laquelle s’entretient régulièrement avec ses collègues des plateformes burundaise et rwandaise «pour parler des quantités et de la qualité des produits, des droits de douane à la frontière ou des changements décrétés par les gouvernements en lien avec nos affaires».

Pour assurer le développement des affaires également, des cours d’éducation financière, réunissant des commerçantes des trois pays, sont organisés. Cynthia, marchande de poisson burundaise qui vit à la périphérie de Bujumbura, a participé à l’un d’entre eux: «Désormais, je sais ce qui entre et ce qui sort. Je note chaque dépense dans un cahier. Avant, je n’avais aucune notion de comptabilité», raconte la jeune femme qui se lève très tôt chaque matin pour rencontrer les pêcheurs puis apporter les poissons aux Congolaises à la frontière. «Aujourd’hui, je suis aussi capable d’épargner. Je ne vais plus me coucher sans n’avoir pu donner à manger à mes enfants», se réjouit-elle. Autre source de fierté: «Je participe autant que mon mari au budget de la famille. Je suis ravie de cette émancipation.»

Paix dans les familles

Le projet Cross Border Trade for Peace inclut également les hommes. Ceux-ci sont sensibilisés à la masculinité positive, approche par laquelle ils soutiennent l’autonomisation de leurs épouses et luttent contre les violences à l’égard des femmes. Jean-Luc, Burundais marié à Janine, vendeuse d’amarante verte, a appris «l’humilité»: «Je frappais très souvent ma femme auparavant. J’étais violent. Je me considérais comme le chef de la famille et ne comprenais pas que ma femme puisse jouir des mêmes libertés que moi. Je sais désormais que hommes et femmes ont les mêmes droits. Devenu son premier supporter, je l’aide à vendre la marchandise en RDC», raconte le jeune homme. «Avant, j’allais seule à la frontière et ne pouvais lui dire que j’allais travailler. Car il craignait que je lui sois infidèle. Aujourd’hui, je partage avec lui ce que je fais, et il a changé son comportement. Je suis tellement contente», confie Janine, avec un grand sourire dans les yeux. Jean-Claude, Burundais lui aussi, marié à Rose qui vend de la pâte de manioc et des bananes, a changé également: «Je participe aux tâches à la maison: repas, lessive, coucher des enfants. Au début, je considérais ces activités comme des travaux forcés. Je les effectue désormais avec bon cœur et n’attends plus que ma femme revienne du Congo pour qu’elle fasse tout. J’ai appris qu’il y avait deux responsables dans la famille.»

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