Le magazine de la DDC sur
le développement et la coopération
DEZA
Texte: Samuel SchlaefliEdition: 03/2021

Dans les pays du Sud, les chocs climatiques multiples menacent la vie de millions de personnes. Alors qu’elles ont le moins contribué au réchauffement de la planète, elles sont déjà celles qui en souffrent le plus. En Somalie, aide humanitaire et coopération au développement s’allient pour soutenir les plus vulnérables dans leur adaptation à la nouvelle réalité climatique.

Gestion prudente et efficiente d’une ressource précieuse: les canaux et les rigoles permettent une meilleure utilisation de l’eau.                                                                                                                 © Coopi
Gestion prudente et efficiente d’une ressource précieuse: les canaux et les rigoles permettent une meilleure utilisation de l’eau. © Coopi

Kevin Mackey travaille en Somalie depuis treize ans. Coordinateur de programme au sein de l’ONG internationale World Vision à Mogadiscio, il se déplace souvent en véhicule blindé, accompagné de six gardes du corps. Les attentats à la bombe contre les hôtels et les centres de conférence ne sont pas rares dans la capitale somalienne. Kevin Mackey n’est pas soucieux de nature. Le fait que le pays soit à nouveau sans gouvernement officiel depuis février ne l’inquiète pas particulièrement. Le président Mohamed Abdullahi Mohamed, surnommé Farmajo, a refusé de quitter ses fonctions, après avoir négligé la tenue des élections.

Devant une carte de la Somalie, Kevin Mackey se montre en revanche plus tourmenté. La carte détaille le niveau de sécurité alimentaire par région. La couleur orange couvre la plupart des régions: elle correspond au niveau 3 de l’échelle, qui signifie «crise». Le niveau maximal 5 signale une famine. «Nous allons au-devant d’une phase dévastatrice si nous n’augmentons pas l’aide humanitaire rapidement», dit-il avec inquiétude.

Trente catastrophes en trente ans

La crise politique perdure depuis trente ans en Somalie. Après la chute du dictateur Siad Barré en 1991, le pays a sombré dans une guerre civile sanglante. Les conflits politiques internes ainsi que la lutte entre le gouvernement central et la milice islamiste al-Shabaab, qui contrôle une grande partie du sud, se poursuivent. En 2020, la pandémie de Covid-19 a durement frappé cet État isolé de la Corne de l’Afrique, en particulier sur le plan économique.

Les conditions météorologiques et le climat constituent d’autres facteurs de stress importants pour les plus de 15 millions de Somaliens. Depuis 1990, le pays a connu plus de 30 catastrophes liées au climat, dont 12 sécheresses et 19 inondations d’intensité variable. Soit trois fois plus que pendant la période allant de 1970 à 1990. En avril dernier, au moment où Kevin Mackey se penche sur la carte, une nouvelle sécheresse s’annonce. Il n’a pas assez plu entre octobre et décembre et les prévisions pour la deuxième saison des pluies entre avril et juin sont sombres.

Cette association locale d’épargne et de crédit collecte régulièrement de l’argent, puis le distribue aux femmes pour qu’elles puissent ouvrir un petit commerce.                                                        © Coopi
Cette association locale d’épargne et de crédit collecte régulièrement de l’argent, puis le distribue aux femmes pour qu’elles puissent ouvrir un petit commerce. © Coopi

Kevin Mackey connaît la souffrance humaine causée par la guerre, l’absence de gouvernement et les chocs climatiques: «En 2008, lorsque je suis arrivé en Somalie, la situation était déjà terrible. Mais elle a empiré avec la sécheresse et la famine de 2011.» La malnutrition tue alors 260'000 personnes, la moitié d’entre elles sont des enfants de moins de cinq ans. L’aide humanitaire internationale est tardive et n’atteint quasiment pas les populations rurales les plus vulnérables, en raison des combats qui font rage. Diverses ONG ont ainsi lancé un projet à long terme associant aide humanitaire et coopération au développement. L’objectif du Somali Resilience Program (Somrep) est de renforcer la résilience des populations rurales face aux chocs climatiques. «Si un paysan désespéré vend sa pioche et sa houe pour partir en ville, il sera très difficile et coûteux de le ramener à la campagne», explique Kevin Mackey, qui supervise le programme sur le terrain.

Le système d’alerte précoce est un élément important de Somrep. Les données météorologiques et climatiques recueillies par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture sont intégrées dans un système national d’alerte précoce qui prédit les sécheresses, les inondations et les vagues de chaleur. «Mais les personnes qui cultivent la terre dans les régions doivent être en mesure d’utiliser ces données», explique Kevin Mackey. Une centaine de comités d’alerte précoce ont donc été mis sur pied à travers le pays. Leurs membres ont appris à interpréter les données climatiques et météorologiques des autorités régionales et à élaborer des stratégies d’adaptation.

Les familles paysannes connaissent parfaitement le temps et le climat de leur région. Leurs connaissances sont également intégrées dans les scénarios d’urgence. «Aujourd’hui, les populations villageoises réagissent plus rapidement et plus efficacement à l’approche d’une tempête ou d’une sécheresse», relève Kevin Mackey. Ils dégagent les canaux d’eaux usées avant les fortes pluies ou creusent des caniveaux facilitant l’écoulement par exemple.

Résistance accrue aux chocs

Après la famine de 2011, les ONG actives en Somalie ont lancé un vaste programme de résilience axée sur la durée (Somrep), associant aide humanitaire et coopération au développement. Somrep est actuellement financé par l’Union européenne, l’Allemagne, la Suède, les États-Unis, l’Australie et la Suisse. La contribution helvétique s’élève à quelque 15% du montant total de 102 millions de dollars pour la période 2020 à 2023. Le programme renforce les capacités des personnes à trois niveaux, explique Dorothee Lötscher, chargée de programme pour la Corne de l’Afrique à la DDC: «Les populations peuvent mieux absorber les chocs, s’y adapter plus facilement et renforcer leur résilience à long terme grâce au changement social.» Les autorités locales et la diaspora participent au programme.

Érosion des sols

Selon les dernières données disponibles pour la Somalie datant de 2013, les températures moyennes ont déjà augmenté de 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. En l’absence de mesures fortes au niveau mondial, la hausse pourrait atteindre 4,3°C d’ici à la fin du siècle. Les effets du réchauffement sont déjà perceptibles: quand il ne pleut pas, le sol est calciné par la sécheresse. Ces périodes sont souvent suivies de pluies courtes mais violentes, qui provoquent des inondations sur des sols trop secs pour absorber l’eau.

La déforestation à grande échelle pour la production de charbon érode le sol en Somalie et accélère le réchauffement climatique.                                                                                                                  © Christoph Goedan/laif
La déforestation à grande échelle pour la production de charbon érode le sol en Somalie et accélère le réchauffement climatique. © Christoph Goedan/laif

Par ailleurs, certaines pratiques de la population aggravent la crise climatique, notamment la production de charbon de bois, qui a entraîné le défrichement de vastes zones de forêts. Le charbon est destiné à la cuisson domestique ou à l’exportation lucrative vers le Kenya. Sans couverture végétale, les sols s’érodent et deviennent infertiles. Plus de 70% de la population somalienne vit de l’agriculture ou pratique un mode de vie nomade ou semi-nomade. Ces dernières années, des millions de personnes ont perdu les terres ou les troupeaux qui étaient leurs moyens de subsistance. Lors de la sécheresse de 2016/17, les zones gravement touchées ont vu périr jusqu’à 60% du bétail. L’exode rural se renforce. Certains ne voient d’autre issue que de rejoindre le mouvement Al-Shabaab. Le déplacement interne concerne près de trois millions de personnes. Dans les camps improvisés à la périphérie des villes, la milice islamiste recrute régulièrement.

Un élément essentiel du programme Somrep est de favoriser la résilience face aux conditions météorologiques imprévisibles. Depuis 2013, 165 écoles d’élevage de bétail et plus de 600 écoles d’agriculture ont été créées sur le terrain. L’enseignement couvre divers domaines: la santé des animaux et la prévision de réserves de fourrage, la fertilisation des sols pour augmenter les rendements, la sélection de variétés de maïs, de sorgho ou de haricot nécessitant peu d’eau ou encore l’utilisation de différentes semences pour réduire les risques de pertes. À cela s’ajoute la connaissance des mécanismes du marché pour obtenir de meilleurs prix.

Des éleveurs de bétail pendant une session de formation: plus de 70% de la population somalienne dépend de l’agriculture pour sa survie.                                                                                              © Somrep
Des éleveurs de bétail pendant une session de formation: plus de 70% de la population somalienne dépend de l’agriculture pour sa survie. © Somrep

Ces écoles de terrain sont aussi des centres de vaccination pour les chèvres, les chameaux et les moutons. Le but est de garantir la santé des troupeaux. Près de 1400 vétérinaires ont reçu une formation. L’élevage étant un pilier de l’économie somalienne, Kevin Mackey et son équipe élaborent actuellement une assurance basée sur un indice pour le bétail. Celle-ci sera indexée sur les prévisions climatiques et météorologiques. En cas de crise imminente, les fonds pourront être versés rapidement, permettant aux personnes touchées de se procurer des médicaments, du fourrage ou de l’eau pour leur bétail.

Pour financer ce mécanisme, Kevin Mackey compte sur les bailleurs de fonds internationaux, le gouvernement et des particuliers. Il est persuadé de l’intérêt d’une telle assurance pour toutes les parties impliquées. Après un choc climatique, les éleveurs qui ont perdu des animaux bénéficient souvent de l’aide humanitaire sous forme de programmes dits «argent contre travail». Ils réhabilitent des terres agricoles ou construisent des infrastructures d’eau potable. Leur salaire leur permet alors d’acquérir de nouvelles bêtes.

«Cela nous coûte 84 dollars par personne et par mois, précise Kevin Mackey. L’assurance pour le bétail ne s’élèverait, elle, qu’à 22 dollars par an, selon l’expérience menée par d’autres pays. Elle serait donc très économique.» Grâce au soutien financier de la Suisse, un bureau a déjà été créé au sein du ministère de l’Élevage pour faire avancer le projet. World Vision collabore également avec le Somali Response Innovation Lab (voir encadré) pour associer le secteur privé à la démarche et développer des prototypes.

Mais comment les agriculteurs et les populations semi-nomades des régions reculées de Somaliland ou de Puntland pourront-ils souscrire à une telle assurance et toucher les indemnités à temps avant une sécheresse? «Grâce au smartphone, répond Kevin Mackey. En Somalie, presque tout le monde possède un téléphone portable et l’emploie déjà pour ses paiements.»

Innovations mondiales en réseau

Le Somali Response Innovation Lab (Somril) fait partie d’un réseau mondial de centres d’innovation qui soutiennent l’aide humanitaire et la coopération au développement par la recherche, des idées et des contacts. Composante du Somrep, le Somril appuie les ONG par des activités de recherche et de développement. Dès le début, il a joué un rôle clé dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Avant même le premier cas de coronavirus dans le pays, l’équipe a traduit les instructions de l’OMS dans les langues locales pour les diffuser largement via les réseaux sociaux, en collaboration avec des partenaires de recherche internationaux et le ministère de la Santé. Somril a aussi réalisé 19 vidéos avec des marionnettes pour expliquer de manière ludique aux enfants et aux adultes comment se protéger du coronavirus.

Résilience économique et sociale

Le programme Somrep a aussi permis la création d’associations villageoises d’épargne et de crédit. Les membres peuvent contracter des prêts, par exemple pour ouvrir un petit commerce ou acquérir des bêtes. Cette offre s’adresse en particulier aux femmes et aux jeunes, dont plus de 60% sont aujourd’hui au chômage. Ces associations, au nombre de 240 à ce jour, sont également des lieux de rencontre permettant de constituer des réseaux. Les femmes s’organisent elles-mêmes, elles gagnent en autonomie économique et en assurance, ce qui favorise leur engagement dans d’autres groupes d’intérêt. «Sur le fond, je suis très optimiste quant au développement futur de la Somalie», déclare Kevin Mackey. De nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années, avec, à la clé, une meilleure capacité à réagir aux chocs climatiques.

Une agricultrice montre fièrement ses citrons: la diversification des cultures augmente la résilience face à la nouvelle réalité climatique. © Somrep
Une agricultrice montre fièrement ses citrons: la diversification des cultures augmente la résilience face à la nouvelle réalité climatique. © Somrep

Mais l’avenir proche est inquiétant. Si le programme Somrep prévoit une aide humanitaire en cas de crises mineures, la sécheresse actuelle et la famine imminente dépassent les moyens disponibles. Fin avril, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires annonçait que seuls 15% de l’aide humanitaire nécessaire en Somalie (sur un total de 1,09 milliard de dollars) avaient été mis à disposition par les bailleurs de fonds internationaux. Les rations alimentaires destinées à 400'000 personnes ont déjà dû être réduites de moitié. Un million d’enfants souffrent de malnutrition aiguë ou sévère et 50'000 d’entre eux pourraient mourir bientôt, en l’absence d’une aide rapide. «Si la communauté internationale n’intervient pas, nous perdrons une grande partie de la résilience que nous avons construite ces dernières années», souligne Kevin Mackey.

IC Forum Switzerland 2022: Coopération internationale et changement climatique

Du 31 mars au 1er avril 2022, la DDC organisera à Genève la première édition du International Cooperation Forum Switzerland. Y seront notamment abordées les questions de l’impact du réchauffement planétaire sur l’Agenda 2030 de l’ONU, du rôle la CI dans le changement systémique qui sera nécessaire pour freiner le réchauffement de la planète ou de savoir comment concilier développement et protection du climat.

Plus d’informations sur l’IC Forum Switzerland 2022 dans le prochain numéro d’UN SEUL MONDE.

Le prix suisse Jeunesse et futur «Together we’re better 2022»

La jeunesse sera également activement impliquée dans cet IC Forum Switzerland: il s’agira de mettre en avant leurs connaissances et leur engagement en faveur d’une coopération internationale durable. La DDC et le SECO recherchent ainsi des initiatives, idées et projets innovants portés par des jeunes moins de 35 ans de Suisse, qui contribuent au développement durable et à la lutte contre la pauvreté dans un pays partenaire de la coopération internationale de la Suisse.

Le délai de candidature est fixé au 30 novembre 2021. La remise des prix aura lieu à l’occasion du IC Forum Switzerland.

Nous Déménageons. A partir d'avril 2024, vous trouverez toutes les histoires sur l'aide humanitaire et la coopération au développement de la Suisse sur ddc.admin.ch/histoires.

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